La M 72

par André Dewael

L'idée

Après l'expérience de la 530, l'idée récurrente de créer la "voiture des copains" souhaitée par Jean-Luc Lagardère ressurgit au moment où le Groupe Matra racheta la société Solex.

L'idée originelle fut de concevoir une voiture minimaliste reprenant sur quatre roues l'esprit du légendaire Vélosolex. Elle se concrétisa en 1985 par une maquette non roulante : le projet P 28.

  

 

Le sommeil

Ce produit simple, léger et économique, offrant une sympathique alternative aux scooters ou aux voitures d'occasions en resta à ce stade, le temps du sommeil. Le climat socio-économique des années 1980 ne permettant pas d'aller plus loin, le concept sommeilla dans le cartons… pendant une bonne quinzaine d'années ! 

 

Le réveil

L'idée de réaliser la synthèse entre une auto et une moto fut lancée. BMW, société avec laquelle Matra entretenait de bons rapports, lança sa moto couverte nommée C1. Cette tentative osée de la part d'une telle marque fut un échec commercial. Chez Matra, on pensait qu'il fallait absolument quatre roues tout en offrant des sensations naturelles. Et le concept P 28 de refaire surface...

Comme l'explique Michel Marcellas, le responsable de ce projet dénommé P 72, "La Matra 72 s'inspire de la philosophie du programme P 28. Elle n'est donc pas une automobile au sens propre du terme, mais un véhicule à mi-chemin entre la moto et la voiture. C'est un véhicule différent répondant aux aspirations des passionnés comme des moins sensibles à l'automobile". "Une voiture destinée aux jeunes et conduite par tout le monde", précise Philippe Guédon.

 

Les études et prototypes

En 1999, une modification de la législation redonne à cette étude de nouvelles perspectives commerciales. La catégorie des quadricycles lourds se muscle en passant de 13 ch à 20 ch et le cadre juridique est unifié dans tous les pays européens.

Depuis quelques temps, Philippe Guédon avait annoncé "enfin tenir le concept". Il avait réussi à convaincre alors Jean-Luc Lagardère d'investir dans ce projet avant-gardiste et de le développer en vue de son industrialisation. Le projet d'une nouvelle unité de production à Romorantin était planifié .

L'auto-moto, voilà ce que Matra désirait réaliser, et de se lancer dans des esquisses alliant les caractéristiques de la moto et les 4 roues de l'automobile.

     

Le projet 72 démarre quelques mois plus tard par un premier mulet roulant. Les sensations perçues seront si excellentes qu'une étude technique est lancée.

C'est au magazine Auto-Plus que revient le scoop par la publication des premières photos d'un prototype à l'essai en Italie.

Bien vu ! Le premier objectif est de concilier un poids minimum (moins de 400 kg) avec une motorisation minimale (20 ch) pour l'accès à la conduite dès 16 ans. Bien qu'une version de 50 ch n'est pas limitée par poids, on veut réaliser un châssis commun aux deux versions. Le moteur retenu par Matra est un bicylindres high-tech de 750 cm³ fourni par le suisse WEBER, ne pesant que 43 kg ; la transmission de type CVT contribue également à l'allègement de la mécanique. Voici un proto de la version 20 ch en cours de tests routiers :

Que ce soit en version 20 ch ou 50 ch, de nombreux tests routiers sont effectués par des mulets en différentes configurations : châssis, suspensions, freins, matériaux (alu, acier léger, composites), etc.  Voici une photo prise lors d'un slalom sur une piste du Ceram à Mortefontaine :

Reproduction autorisée par le Ceram

Chez Matra, tout commence par l'architecture. Pour créer ce véhicule d'un genre nouveau, les architectes automobiles ont tout remis à plat. Ainsi la Matra M72 fait appel à des technologies de pointe comme le thermoformage, technique que Matra maîtrise dans sa filiale industrielle de Theillay, qui est utilisé pour les éléments de carrosserie et certains accessoires. Ou encore le profilé d'aluminium, matériau ultra léger et recyclable, déjà choisi pour la partie haute du coupé haut gamme "Avantime", conçu en partenariat avec Renault. L'objectif est de s'écarter au maximum de l'univers automobile aseptisé. En soulignant le châssis sans le surcharger, les designers ont créé un nouveau concept de véhicule, entre l'auto et la moto, totalement ouvert vers le ciel, la route et les sensations. Les maquettes de style de la M72 ont été réalisées par la firme italienne CECOMP. Le prototype 72 est passé au crible des tests clientèles. A chaque fois, la séduction du produit opère. La Direction Générale de Matra décide alors de créer une petite équipe commando nommée "Projet 72" pour mener à bien la phase de développement et son industrialisation. Objectif : commercialisation en 2001, si le Mondial de Paris confirme le potentiel commercial du concept.

Philippe Guédon, Jean-Louis Caussin et Enzo Garavelloni présentent leur nouveau-né au Président Chirac au Mondial 2000.

L'étude progresse intensivement, plusieurs versions de châssis verront le jour ; la première, présentée au Mondial en 2000, sera modifiée pour le Salon de Genève en mars 2002. Le passage au crash-test réel succède aux crash-tests virtuels réalisés par les programmes informatiques.

 

La première version (20 ch) révélée au Mondial de l'Automobile en 2000.

    Le dossier de presse

    La galerie photos

 

 

La deuxième version (50 ch) révélée au Salon de Genève en mars 2002.

    Le dossier de presse

     La galerie photos

 

Une étude pour rien !

Pour lancer ce véhicule iconoclaste, il faut disposer d'une base financière stable. Avec la reprise de la fabrication de l'Espace par Renault, Matra a perdu cette stabilité et commence seulement à produire l'Avantime.
Matra place tous ses espoirs dans ce nouveau véhicule, même s'il sait qu'il ne compensera jamais seul la perte de l'Espace. Et voilà que l'Avantime connaît des problèmes de mise au point, qui entraîneront un retard de sa production...

L'Avantime sort finalement en même temps que la Vel Satis, un autre modèle haut de gamme de Renault. Préférant privilégier la Vel Satis, construite au sein de ses usines, Renault ne présente que très peu d'Avantime dans ses points de vente. Les ventes ne décollent pas et c'est le flop !
Les stocks grandissant, la fabrication est réduite au minimum. Matra, ayant tout misé sur le succès de l'Avantime, n'ayant pas pris de garanties en cas d'échec et n'ayant pas d'autre véhicule produit à ce jour, perd des millions d'euros par jour.
En deux ans, de 2001 à mai 2003, date d'arrêt de la production, seules 8 557 Avantime verront le jour.

Pendant ce temps, des ateliers sont aménagés fin 2002 début 2003 sur le site Romo 3, les machines-outils et les robots sont commandés pour produire la M72, modèle 100% Matra, dont le concept-car a rencontré le succès aux salons automobiles. Malheureusement, ce modèle ne verra jamais le jour. L'usine fermera avant. Le Groupe Lagardère, réorienté vers les médias, décide rapidement de se désinvestir de l'automobile. Dommage car Matra avait aussi envisagé une version turbo de 85-90 ch et même une version électrique !