Sa genèse

par André Dewael

 

        Bien qu’ayant dédoublé sa gamme opportunément en explorant l’idée du "tout chemin" avec la Rancho, il n’en demeure pas moins que Matra songeait depuis déjà longtemps à faire évoluer le concept de la Bagheera en lui concevant une remplaçante dotée des éléments mécaniques jusque-là indisponibles chez Talbot.

        C’est le rôle qui sera dévolu au projet M 551 : gommer les lacunes du modèle précédent afin de mieux affronter la concurrence.

Le cahier des charges était donc simple et répondait aux vœux des ingénieurs passionnés :

1) protection anticorrosion du châssis par le procédé révolutionnaire de galvanisation à chaud inauguré à l’usine de Romorantin sur la dernière centaine de châssis Bagheera et sur les éléments de tôlerie disponibles en réparation pour la Bagheera,

2) une motorisation de 2 litres,

3) une boîte de vitesses à cinq rapports,

4) des performances mieux en rapport avec sa ligne sportive.

Philippe Guédon explique la Murena

Depuis 1965, les ingénieurs et les techniciens Matra travaillent sur les véhicules à moteur central : trois coupés construits avant la Murena (la Djet, la 530 et la Bagheera), monoplaces de formule championnes de France et du Monde, prototypes vainqueurs aux 24 heures du Mans.

C’est donc en pleine connaissance de cette technique, de ses contraintes et de ses avantages qu’après la Bagheera, TALBOT-MATRA fait appel au moteur central pour la Murena, réservé jusque-là aux monoplaces de compétition et à quelques coupés de très grand standing (Ferrari, Lotus Esprit, etc.)

Aujourd’hui la position centrale du moteur dans la caisse trouve sa pleine justification par les avantages qu’elle offre au niveau de l’économie d’énergie et de la sécurité, deux impératifs majeurs dans les conditions actuelles d’emploi de l’automobile.

 

Moteur central, facteur d’économie de carburant.

L’aérodynamisme d’un véhicule est fonction du dessin de ses parties AV et AR. Toutefois, si pour les monoplaces de Formule 1, à très grande vitesse, la forme de la partie arrière est aussi importante que celle de la partie avant, il n’en est pas de même pour les voitures de tourisme dont la partie avant détermine en grande partie le coefficient aérodynamique de tout véhicule.

L’avant de la Murena, dépourvu de moteur, a pu être travaillé dans cette optique.

La position du moteur au centre de la structure influence donc très favorablement l’aérodynamisme, facteur prépondérant de la consommation. Placé entre les sièges et l’essieu AR, le moteur se situe en effet dans une zone où la hauteur de caisse est déterminée en fonction de l’habitabilité. De plus, le moteur en position centrale permet d’asseoir les passagers aussi près que possible du sol, leur visibilité n’étant plus conditionnée par la présence du moteur à l’avant du véhicule. Il en résulte une hauteur de caisse (hors tout) particulièrement réduite.

Enfin, grâce à sa carrosserie réalisée en résine-fibre de verre permettant une grande souplesse des formes, ainsi qu’à la solution des phares escamotables, les caractéristiques aérodynamiques de la Murena analysées en soufflerie de Saint-Cyr sur véhicule réel, sont particulièrement intéressantes.

Le coefficient de pénétration dans l’air, Cx, est de 0,328. Avec un maître couple S de 1,77 m², le coefficient aérodynamique de traînée SCx est de 0,58 (très faible).

Rappelons que la définition des caractéristiques aérodynamiques n’était pas développée d’une manière aussi systématique dans la construction automobile que dans l’aéronautique (les impératifs de style et d’écoulement d’air étaient traités dans la plupart des cas contradictoirement). Pour la Murena, le processus d’étude aérodynamique a été le suivant :

1 – implantation du véhicule,

2 – définition d’un style de départ,

3 – calcul sur ordinateur de l’écoulement de l’air dans les zones critiques,

4 – retouches du style en fonction des résultats obtenus (atténuation maximale des tourbillons et des décollements),

5 – réalisation d’une maquette au 1/8e et passage en bain hydrodynamique MATRA,

6 – retouches des formes,

7 – contrôle en soufflerie sur véhicule échelle 1/1 :

        contrôle de l’écoulement extérieur,

        travail des écoulements de refroidissement.

 

Moteur central, facteur de sécurité.

La notion de sécurité implique la sécurité passive et la sécurité active.

La sécurité passive est celle qui permet aux occupants de subir le moins de dommages corporels suite à un accident. Elle est obtenue par une conception particulière de la structure et par toute une série d'équipements, tels ceintures de sécurité, renforcement des portes, etc.

La sécurité passive est soumise à une législation très précise et tous les véhicules subissent les mêmes tests d’homologation. On peut donc considérer que le niveau moyen de sécurité des véhicules offerts sur le marché est comparable.

La sécurité active représente l’ensemble des mesures et des moyens qui permet d’éviter l’accident, forme préventive de la sécurité : freinage, adhérence, guidage, temps de réponse, centrage, visibilité, etc.

La législation est plus souple en ce qui concerne la sécurité active (double circuit de freinage par exemple). L’initiative des constructeurs est donc plus grande.

La Murena à moteur central présente des caractéristiques de sécurité active particulièrement intéressantes :

Par sa disposition sur le véhicule, le moteur central, situé près du centre de gravité du véhicule, offre une répartition du poids optimale : 40 à 45 % à l’avant, 55 à 60 % à l’arrière. Cette répartition, légèrement prépondérante à l’arrière, conduit en accélération à une meilleure adhérence sur les roues arrière motrices, quel que soit l’état du sol et en décélération à une charge sur l’essieu avant permettant d’obtenir un freinage pratiquement identique sur les quatre roues.

Autre facteur important de la sécurité active : la maniabilité. C’est la qualité fondamentale qui permet de diriger un véhicule ou d’éviter d’éventuels obstacles.

La maniabilité est, fonction de la précision et de la souplesse de la direction et de l’inertie du véhicule. Quand le moteur est central, la précision et la souplesse de la direction sont obtenues sans moyen artificiel (assistance) grâce à une faible charge sur le train avant (rapport de direction suffisamment direct pour renvoyer au conducteur les réactions de la roue).

Quant à l’inertie de lacet, elle est ramenée à un faible niveau, les masses étant concentrées autour du centre de gravité. Pour cette raison, la Murena change de cap facilement et possède un «temps de réponse» court.

    Dernier facteur de la sécurité active : la suspension.

    Les éléments de la suspension de la Murena influent sur la tenue de route et complètent le rôle que joue le moteur central sur la maniabilité :

les pneumatiques sont du type à carcasse radiale, larges et à taille basse (série 60 ou 70),

les épures des suspensions sont un compromis entre des débattements de roue importants et une grande surface d’adhérence des pneumatiques au sol,

la rigidité de la caisse est élevée grâce à une structure métallique et des panneaux en matériau composite (résine-fibre de verre),

enfin, l’axe de roulis (liaison du centre de roulis de la suspension AV au centre de roulis de la suspension AR) présente un caractère «piqueur» vers l’avant, ce qui permet un meilleur équilibre des raideurs en roulis des deux essieux soumis à la force centrifuge ; pour le conducteur, la voiture sera plus «homogène» dans les évolutions à grande vitesse.

                   Source : Dossier de presse,  AUTOMOBILES TALBOT, Relations publiques, Novembre 1980.

 

Les difficultés techniques rencontrées

        Matra-Simca était devenu Talbot-Matra en 1979. Le partenaire technico-commercial de Matra Automobile était devenu le groupe P.S.A. Matra pouvait dès lors puiser dans la banque d’organes mécaniques du groupe représentant les marques Peugeot, Citroën et Talbot.

        Pour une mécanique de 2 litres de cylindrée, Matra pensait pouvoir disposer du moteur issu de la collaboration P.S.A.-Renault construit par la société Française de Mécanique. Ce moteur, placé en position transversale et accouplé à une boîte à 5 vitesses, équipait la Citroën CX 2000 (Athena).  Par souci de simplification, il suffisait d’implanter cet ensemble moteur-boîte dans la Murena.  Matra s’est donc mis à la tâche jusqu’au moment où Renault a mis son veto quant à l’utilisation de ce moteur dans une voiture sportive qui allait concurrencer sa Fuego équipée de la même mécanique.

        La Murena 1.6 était prête à être commercialisée en septembre 1980.  Le public attendait une "Bagheera 2 litres" et Matra devait revoir tous ses plans de motorisation.  La seule solution résidait en l’adoption et en l’adaptation du moteur d’origine Chrysler 2 litres dont la cylindrée venait d’être portée à 2156 cm³ pour équiper la "grosse" Talbot Tagora.

        Nom de code du second projet : M 552.  On s’est arraché les cheveux chez Matra car le délai était très court et il fallait concevoir l’implantation transversale de ce "volumineux" moteur dans le châssis Murena prévu pour le "petit" 1600 cm³.  Matra a dû étudier un carter d’embrayage le plus court possible pour monter la boîte ; à l’autre extrémité du moteur, il a fallu remplacer la pompe à eau de la Tagora par une pompe à eau spécifique, plus étroite, pour que le moteur entre au "chausse-pieds". Un carter d’huile spécifique avec refroidissement à ailettes pour implantation transversale a dû être étudié.  Il a fallu également modifier la culasse de la Tagora pour adapter un support moteur supérieur central et remplacer le carburateur Weber de la Tagora par un Solex 34 CIC-141. Le châssis lui-même a été modifié dans sa partie arrière : à partir de la caisse n° 2246, le châssis 1.6 est adapté pour recevoir les deux mécaniques. Seule la tôlerie de séparation du compartiment moteur et du coffre à bagages différenciera les deux modèles (bossage réduisant très légèrement le volume du coffre dans la 2.2).

 

Sa commercialisation

Le lancement en deux temps

        La Murena 1.6 (nom de code M 551) est sortie en France en septembre 1980, ce qui correspondait au millésime 1981. Son exportation débute en janvier 1981.

        La Murena 2.2 (nom de code M 552) n’était pas disponible immédiatement. Il faudra attendre des mois pour qu’elle apparaisse au catalogue courant 1981, faute de mise au point. Toute la campagne publicitaire liée à la nouveauté "Murena" devait être renouvelée pour annoncer l'apparition de la nouvelle motorisation de 2.2 litres d’une puissance de 118 CV.  Jean-Pierre Beltoise y apporte son concours.

        Matra a toujours été particulièrement honnête vis-à-vis de la presse, laissant même le soin aux journalistes d’essayer les Murena 2.2 de pré-série équipées des bras de suspension arrière prévus pour la 1.6.  Les journalistes ont immédiatement mis le doigt sur le manque de rigidité de ces bras en appui lors d’une conduite très sportive.  Matra a revu ses plans et étudié des bras de suspension arrière renforcés, d’une conception nettement plus rigide.

Le réseau commercial

        Au départ, la Murena était commercialisée par le réseau Talbot.  A l’époque de la Bagheera, les garagistes Simca s’enfuyaient parfois lorsqu’ils devaient intervenir sur un véhicule, vu les difficultés d’accès à la mécanique et ils n’étaient pas spécialement enclins à vendre un véhicule aussi sophistiqué que la Matra.  Vendre et entretenir des Simca 1000, 1100, 1307-1308, Horizon, 1510 et Solara était facile et rentable. Des Matra, c’était un autre monde !

        Le nom de Talbot était tombé dans le patrimoine du groupe P.S.A. après le rachat de Chrysler Europe. Dans un premier temps, les réseaux Talbot et Peugeot étaient indépendants.  Puis il y eut fusion.  La plupart des concessionnaires et agents Peugeot-Talbot étaient d’anciens Peugeot.  Rares étaient ceux issus du réseau Simca-Chrysler et par conséquent ils étaient peu motivés à vendre un véhicule qui n’était pas badgé Peugeot.

 

 

         Avec le recul, Philippe Guédon tire les leçons de cette aventure :

        «La Murena est un développement de la Bagheera avec toujours trois sièges côte à côte, mais plus puissante. Nous avons découvert, avec cette auto, qu'il ne fallait pas faire des  voitures dont on a envie, mais des voitures dont les gens ont besoin.»