Jean-Pierre Beltoise présente la M 530

    

     Le projet

Lorsque Matra eut pris la succession de l'affaire de René Bonnet, le but principal était de construire des voitures de sport commerciales. La Jet était bien sûr une belle voiture, rapide, sportive, et d'une conception moderne. Mais elle présentait un défaut : elle n'était pas ce qu'il est convenu d'appeler "commerciale". Elle n'avait que deux places. Les études de marché réalisées démontrèrent rapidement qu'il fallait sortir un autre modèle, plus adapté aux exigences du client sportif moyen, c'est-à-dire selon la formule 2 + 2, et à un prix très raisonnable, en sacrifiant sur la performance, et en se rapprochant de la conception des voitures de série normales. On mit donc sur pied un projet intitulé "voiture des copains". Pourtant, cette dénomination ne correspondait pas non plus au goût du public français, qui n'était pas disposé à acheter en grande quantité une voiture dont l'étanchéité laisserait à désirer, de même que le confort et la présentation. Or sortir une voiture aux environs du million d'anciens francs imposait des sacrifices à un constructeur ne pratiquant pas la très grande série. Immédiatement, on mit en chantier un autre projet. Plus sérieux, plus cher aussi, mais ouvert à des perspectives commerciales plus heureuses.

 

L'étude

Elle fut menée sous la haute direction de l'ingénieur Philippe Guédon, responsable, dès son entrée chez Matra, des problèmes de suspension et de transmission sur les monoplaces. Les premiers coups de crayon furent donnés en mars 1965. Il aura donc fallu deux ans pour mener à bien cette réalisation, une équipe de quinze techniciens s'en étant occupé sous l'égide de l'ingénieur Pinardeau, second de Guédon, et venant comme lui de chez Simca. C'est dire que ce projet fut rondement mené, avec beaucoup de sérieux, et avec les mêmes garanties que chez un grand constructeur. Chaque détail a demandé des heures de travail et de mise au point. Au début, le gros problème était de faire une voiture qui ne soit pas plus longue que la Jet, tout en étant aussi aérodynamique. Mais il fallait qu'elle soit plus spacieuse, de manière à pouvoir accepter quatre personnes en ville, ou deux personnes et deux enfants pour les voyages. En outre elle se devait d'être plus moderne de ligne, avec notamment de grandes surfaces vitrées. Cela paraissait une gageure au début, surtout en conservant la technique du moteur central. Pourtant seule cette formule permet d'obtenir en même temps un capot avant très bas pour une visibilité excellente, et beaucoup de place à l'intérieur par l'absence de tunnel de transmission. De plus les qualités routières qu'autorise le moteur central arrière, ainsi que l'isolement thermique des éléments mécaniques ne s'obtiennent pas dans d'aussi bonnes conditions avec un moteur-boîte à l'avant en position classique. Une fois les cotes d'encombrement bien définies par les services techniques, il s'avéra qu'il serait effectivement possible de construire une voiture à moteur central si ce dernier n'était pas trop long. Or comme justement des tentatives d'accord avaient été prises avec différents constructeurs, on s'aperçut que le moteur le plus logeable était le Ford V4 de la Taunus 17M. Ce moteur avait en outre l'avantage d'avoir une réputation de robustesse à toute épreuve, et d'être déjà disposé de manière à pouvoir être monté directement sans retourner la boîte ni sans interposer d'entretoise. Pour habiller cette voiture, on s'est adressé à un jeune styliste de talent, Nocher, qui avait des idées très précises quant à la silhouette de cette voiture qu'il voulait assez sauvage et élancée, en même temps que légèrement futuriste. Il adopta donc ce parti dès le début, mais sa première maquette fut très controversée. On la conserva cependant après quelques retouches mineures. Je ne sais pas ce que vous en penserez, mais depuis bientôt six mois que je vois quotidiennement la 530, je me suis imbibé de sa ligne, et je pense que Nochet eut parfaitement raison d'imposer avec tant d'ardeur sa conception des choses. Un trait particulier de cette voiture réside dans son toit ouvrant parfaitement original qui peut la transformer instantanément en décapotable. L'avant rappelle un peu celui de la DS, et plusieurs autres parties de la voiture font penser à d'autres réalisations, mais une carrosserie est un tout, et l'ensemble possède une touche extrêmement personnelle. Le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est pas banale.

 

La conception technique

Avec cette voiture, on devait sortir des sentiers battus dans tous les domaines. Si une carrosserie très moderne a effectivement été adoptée, plus moderne que n'importe quelle autre voiture, si le moteur central a été choisi, ce qui est aussi une prise de position relativement peu courante, les autres solutions techniques suivent le pas. Ainsi, le châssis est une espèce de grand caisson en tôle ajourée, et les éléments de carrosserie, tous en matière plastique, sont au nombre d'une vingtaine. Or, l'inconvénient des carrosseries en plastique résidait jusqu'à présent dans le fait qu'en cas d'accrochage, il fallait tout refaire. Avec cette disposition à éléments séparés, cet inconvénient majeur disparaît, et laisse à la matière plastique tous ses avantages dont le principal est évidemment une grande légèreté. Mais, me direz-vous, comment une rigidité satisfaisante est-elle obtenue dans cet ensemble ? Eh bien, Philippe Guédon a calculé son châssis de telle façon qu'il puisse recevoir un jour ou l'autre un beaucoup plus gros moteur, du genre V8 américain. C'est dire que la rigidité de cette plate-forme se suffit à elle-même, et que les éléments de carrosserie y sont simplement rapportés et vissés, n'intervenant absolument pas dans la rigidité de l'ensemble.

Les suspensions, elles, sont beaucoup plus classiques. A l'heure actuelle on a tout essayé dans ce domaine et on parle même de classicisme pour les suspensions de voitures de course. Celles de la 530 sont à triangles superposés à l'avant, et à roues tirées à l'arrière comme sur les nouvelles Triumph TR4A. Comme je l'ai dit plus haut, c'est le groupe moteur-boîte de la Ford Taunus qui vient se loger dans l'espace très restreint compris entre la petite banquette arrière et le coffre à bagages. Ce moteur ne subit qu'un polissage des tubulures d'admission et d'échappement, délogeant quelques chevaux supplémentaires, bridés bêtement par les aspérités dues à la fonderie des tubulures d'origine.

 

L'essai

Ce n'est ni une voiture des copains, ni une voiture de tourisme, ni même une voiture sportive. Elle est tout à la fois, mais c'est avant tout une voiture d'avenir pouvant aussi bien convenir pour l'usage normal que pour le loisir. Son tempérament n'est pas ce qu'il est convenu d'appeler sportif, mais le confort de sa suspension est absolument phénoménal. La première fois, on se demande même s'il ne s'agit pas d'un nouveau système à coussins d'air tant il est agréable d'avaler pavés et mauvais chemins au volant de la 530. Le confort de conduite est également très supérieur à la moyenne. La direction notamment est d'une précision exemplaire, n'enregistrant pas les à-coups dus au mauvais état de la route, et est aussi directe que sur une voiture de sport classique. La colonne de direction est réglable en hauteur, et les sièges réglables en profondeur, avec des dossiers inclinables. Ce qui permet, quelle que soit la taille du pilote, d'adopter une position détendue et complètement relax. Le tableau de bord est très moderne, large et dégagé, et un boîtier très compact réunit judicieusement tous les instruments de bord circulaires devant les yeux du conducteur. La course des pédales est un peu longue, de même que la course du levier de vitesses au plancher, mais ces commandes en sont d'autant plus douces, et leur disposition est excellente. Pour ranger les affaires du genre cartes, appareils de photo ou paquet de cigarettes, de nombreux vide-poches ont été prévus. Les essuie-glace descendent très bas et viennent s'intégrer sous le capot avant comme sur les DS ou Rover 2000. Les phares escamotables se manoeuvrent par un levier au volant et on peut les ramener en position fermée par une pédale au pied gauche, dans le genre des pédales de rappel de frein à main sur les voitures américaines. Les places arrière ne sont évidemment que des places de fortune, et restent très inconfortables, du moins pour des adultes. Mais pour des enfants, elles conviennent très bien, et peuvent éventuellement servir à mettre des bagages supplémentaires.

 

Les qualités routières

Si, comme je l'ai déjà dit, le confort de la suspension est l'un des principaux atouts de la 530, de même que la précision et la douceur de sa direction, ce ne sont pas là ses seules qualités. La voiture est extrêmement silencieuse, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer d'un moteur central arrière. D'autre part, la visibilité assez exceptionnelle sous tous les angles est au-dessus de tout reproche. Que penser de la tenue de route ? Elle est celle d'une voiture extrêment sûre, comme une DS 19, mais avec ce défaut qu'elle se couche beaucoup dans les virages. Il est très difficile d'obtenir à la fois une grande souplesse et une bonne indépendance des roues si l'on veut que la voiture vire à plat. La Matra a opté pour la première solution, ce qui lui retire certainement beaucoup de l'amusement que l'on peut éprouver à sa conduite. En tous les cas, cela n'affecte en rien la sécurité ni la tenue de route, et une belle neutralité a été obtenue, qui fait de la 530 une voiture au comportement routier assez exceptionnel. Le freinage, à disques sur les quatre roues, a été mis au point en collaboration avec la maison Bendix, et le résultat est excellent. La répartition et la stabilité sont sans reproches, et le freinage reste de toutes manières très endurant à chaud. Il n'y avait du reste pas de surprise à avoir, compte tenu de la dimension de ces freins, dans des roues de 14 pouces, et comparativement au poids de la voiture, qui est de 840 Kg.

 

Le moteur et la boîte de vitesses

On ne pouvait pas s'attendre à quelque chose de particulièrement excitant, connaissant l'ensemble mécanique adopté. Il s'agit, je l'ai dit plus haut, du groupe Ford Taunus de série, d'une puissance spécifique inférieure à 50 ch au litre, mais qui a l'avantage de disposer d'un couple intéressant, et bien sûr, d'une grande sécurité mécanique. Le régime maximum est de 5.500 tours. La boîte de vitesses étant de série, les rapports ne sont pas spécialement étudiés en fonction d'une utilisation sportive, et le trou entre les différents rapports est assez sensible. La première monte à 55 Km/h, la seconde à 95 Km/h, la troisième à 135 Km/h. mais compte tenu du couple justement très important de ce moteur, cet écart entre les différents rapports est plus une gêne psychologique qu'une réelle perte de temps dans les accélérations ou dans l'utilisation de la voiture. Le moteur reprend en effet avec une réelle vigueur à partir de 2.500 tours. Ce qui plaira, j'en suis sûr, à la grande majorité des utilisateurs.

 

Les performances

La vitesse maximale de la voiture, que je n'ai pu chronométrer sur une voiture officielle d'essai, oscillera entre 165 et 170 Km/h. Cette vitesse de pointe correspond réellement à la vitesse de croisière car, à cette allure, la voiture reste très silencieuse, et semble ne pas souffrir le moins du monde. Sur ce plan, c'est une voiture pour autoroute. Les accélérations, sans être exceptionnelles, sont pourtant fort honnêtes, et sur le prototype dont je disposais, j'ai pu chronométrer les 400 m en 18", et les 1.000 m en 34". Ce sont tout de même des accélérations nettement supérieures à celles des berlines de tourisme de prestige, dont la vitesse de pointe est comparable.

 

La voiture qui manquait en France

Matra, avec sa 530, a résolument tapé dans le mille, en lançant une 2 + 2 d'allure et de conception très sportives, mais qui reste très civilisée dans son utilisation. Elle conviendra aussi bien aux jeunes sportifs qui cherchent une voiture brillante, facile à conduire, pratique, avec son toit ouvrant, et peu coûteuse à l'achat, comme à l'entretien, qu'aux pères de famille qui avaient fort envie d'une voiture de sport, sans vouloir en assumer les inconvénients. La 530 possède en effet un coffre à bagages non pas très spacieux, mais méritant bien son nom. Elle possède un argument de vente inédit : son toit ouvrant avec "hard top" qu'il n'est pas nécessaire de laisser au garage, puisqu'en quelques secondes on peut le mettre sous le capot avant. Elle devient alors une véritable décapotable qui conserve tout de même un arceau de sécurité esthétique. La Matra 530 représente en fin de compte un heureux compromis qui répond aux exigences ambivalentes des utilisateurs modernes, soucieux de plus en plus de sortir de la banalité quotidienne.

Source : "Champion" du 15 mars 1967.