L'éclatement de Matra Automobile
par André Dewael
Nous sommes en l'an 2000 et tout le monde croit en la croissance continue depuis l'apparition des nouvelles technologies de pointe. Matra et Renault ont signé pour l'Avantime, le concept automobile qui doit marquer le début du nouveau millénaire... Matra sait depuis 1996 que l'Espace IV sera produit par Renault mais on reste optimiste depuis le succès de l'Espace et c'est avec confiance que Matra envisage l'avenir en voulant profiter des nouvelles formes de commerce annoncées pour faire réapparaître son nom sur son auto-moto M72. On rêve !
Peu de gens (et parmi eux les grands décideurs) imaginent que l'ensemble de l'économie va droit dans le mur...
Depuis quelques mois déjà, le projet de mise en bourse de Matra par le groupe Lagardère est à l'ordre du jour. Le dossier a été confié à la banque Natexis. Le groupe, désormais axé sur les médias, se désintéresse de sa petite activité automobile qui lui a pourtant permis de sauver la mise lors de sérieux coups durs tel que l'échec télévisuel avec l'arrêt de la Cinq.
Les négociations pour la vente de Matra Automobile tardent. Le groupe Lagardère est avide de réaliser une très grosse opération : le rachat de Vivendi. Jean-Luc Lagardère y parviendra in-extremis, plaçant ainsi la majorité des publications françaises sous sa coupe : il déclare avoir voulu sauver le livre français. Il réussit là son coup de maître, mais n'a pu se préoccuper de l'avenir de Matra.
La vente de Matra Automobile est proposée en bloc : activité industrielle (production de l'Avantime et projet de commercialisation de la M72, dans l'attente d'un éventuel 3e véhicule).
Le 1er juin 2002, la société Matra Automobile se voit dotée par Lagardère d'une nouvelle structure. Philippe Guédon, 68 ans, est remplacé par Armand Carlier, 53 ans, ex-PDG d'Astrium (société issue de la fusion des activités spatiales de Matra Marconi Space et de Daimler-Chrysler) prend la tête du Directoire pour piloter l'avenir de Matra Automobile. Philippe Guédon siège alors comme Président du Conseil de Surveillance de Matra au sein du Groupe Lagardère, il quitte Trappes pour le siège de Lagardère, rue de Presbourg à Paris.
A Trappes, c'est la consternation : pour les Matraciens, le successeur naturel de Philippe Guédon ne pouvait être que Jean-Louis Caussin.
A l'usine de Romorantin, après l'arrêt de l'Espace, il ne reste plus que la production de l'Avantime dont les chiffres de vente sont loin de rencontrer les espérances des deux partenaires : Renault et Matra.
L'échec commercial de l'Avantime va précipiter les choses.
Le 26 février 2003, le couperet tombe : Matra annonce l'arrêt de sa production et la fermeture de son usine de Romorantin, renonçant à y produire la M72.
Une page est tournée : Matra cesse d'être un constructeur automobile après près de 40 ans de production (de 1964 à 2003).
Coïncidence de l'Histoire, Jean-Luc Lagardère décède le 14 mars 2003.
Le 28 mai 2003 voit la fermeture définitive de l'usine de Romorantin avec la sortie de chaîne du dernier Avantime.
Au groupe Lagardère, il ne reste plus de Matra Automobile que son bureau d'études, son circuit de Mortefontaine, le CERAM (essais et homologations) et sa filiale D3 (prototypage et modelage).
D'autre part, Matra-Venture Composite (MVC) à Theillay, filiale à 50 % de Lagardère, connaît de grosses difficultés financières en raison de la faillite de son partenaire.
Grâce à ses deux principaux donneurs d'ordre que sont P.S.A. et Renault, Matra Venture Composite est repris le 22 septembre 2003 par le groupe familial italien Rangerplast. L'activité de production d'éléments composites à Theillay se voit réduite à 250 postes. Elle prend un nouveau départ le 5 octobre 2003 sous la dénomination de Ranger France. Cette reprise ne sera que transitoire...
En mars 2009, le groupe
SORA Composites a été retenu par le
tribunal de commerce de Romans pour la reprise de Ranger France, équipementier
automobile en redressement judiciaire depuis huit mois. Ainsi Ranger France va
apporter à Sora Composites des compétences enviables dans les pièces en
compression thermodurcissable. Il maîtrise en particulier les technologies de
haute pression pour la production de SMC à basse densité. Depuis le 2 mars 2009, l'ancien site Matra de Theillay porte le nom de Sotira - SPPP Theillay 41.
En juillet 2002, il est repris à son tour par la société
FAURECIA. Ce grand équipementier mondial
élargit ainsi son expertise dans le domaine des plastiques composites.
Mais revenons-en au processus d'éclatement déclenché en 2003...
Au mois de juin 2003, des négociations en vue de la cession de Matra Automobile avaient été entamées entre Lagardère et Pininfarina, le célèbre carrossier turinois qui a développé au cours des ans des activités d'ingénierie, sans oublier la production de véhicules (Peugeot 406 Coupé et Ford Ka cabriolet).
Un accord définitif est conclu le 16 septembre 2003 et Lagardère SCA cède le bureau d'ingénierie de Matra Automobile à Pininfarina SpA pour 17 millions d'euros.
Par cette implantation stratégique en France, Pininfarina poursuit sa stratégie de développement de son pôle d'ingénierie, déclarant vouloir renforcer les liens qui l'unissent à P.S.A. mais aussi vouloir gagner des projets avec Renault. La société rebaptisée Matra Automobile Engineering (MAE) n'employait plus que 160 personnes fin 2003, le CERAM ainsi que D3 devenant filiales à 100 % de cette nouvelle société. Tous les "Lagardère'boys" sont partis (retraite ou pré-retraite), faisant place à une nouvelle génération, sans doute plus technocrate que passionnée dans l'absolu.
Les espoirs fondés par Pininfarina seront anéantis et le groupe se retrouve pratiquement au bord de la faillite fin 2008. Une année noire pour le célèbre designer italien qui perd son patron Andrea Pininfarina lors d'un stupide accident de la circulation.
Fin 2008, Pininfarina, dont la famille fondatrice n’est plus l’actionnaire majoritaire, cède le CERAM à l'UTAC (Union Technique de l'Automobile, du Motocycle et du Cycle). Organisme expert auprès des instances européennes et internationales, service technique notifié auprés de la Commission Européenne et de l'ONU, l’UTAC participe et à l’élaboration des réglementations applicables aux véhicules et à leurs équipements dans les domaines de la sécurité et de l'environnement.
Le 13 janvier 2009,
Pininfarina, désireux de se recentrer sur la production d'un véhicule électrique
en collaboration avec Bolloré, cède Matra Automobile Engineering à
SEGULA. Né en 1985, ce groupe d’ingénierie et de
conseil en innovation travaille dans l’automobile, l’aéronautique, le
ferroviaire, l’industrie navale, la défense ou l’énergie.
Matra Automobile Engineering vient donc renforcer la branche Segula Technologies
Automotive et représente une belle carte de visite pour une société encore peu
connue. Ce rachat se traduira bientôt par l’adoption d’un nouveau nom qui
pourrait mettre en valeur Matra, firme à l’image prestigieuse dans le monde de
l’automobile et auprès du grand public.