L'Avantime, l'ultime défi

par André Dewael

 

Par sa nature même, Matra s'est toujours lancé des défis. Si l'Avantime constitue son ultime défi, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne lui a pas donné suffisamment de chance de le relever. Pour cela, il aurait fallu le soutenir dans la durée (comme au démarrage de l'Espace en 1984), mais encore fallait-il réellement le vouloir tant au sein du groupe Lagardère que chez Renault !

Début 2003, le groupe Lagardère décide de recentrer sa filiale Matra Automobile sur ses activités d'ingénierie et, dès le 26 février, fait part de sa décision de mettre fin à sa production automobile.  Dans la foulée, Renault prévient le lendemain qu'il ne souhaite pas reprendre la fabrication de l'Avantime, même pas dans son usine de Dieppe où étaient pourtant assemblée une partie des Espace.  L'Avantime s'éclipse après seulement un an et demi de production aux débuts laborieux.

Quelles sont les raisons de cet échec commercial ?

Elles sont multiples et partagées entre les deux partenaires.

Historiquement, force est de constater qu'il a toujours été bien malaisé de réussir un véhicule haut de gamme en France.  Si l'on excepte des véhicules hors normes tels que les Citroën ID-DS, la liste des échecs est longue et peut courir de la Facel Véga à la Talbot Tagora, tout en n'oubliant pas celles plus proches de nous comme les Renault 30, Peugeot 604, 605 et même 607.  Trop souvent, les véhicules ont pêché soit par excès (Facel Véga, Citroën SM) soit par timidité, dans les deux cas par manque de finition et de qualité à ce niveau de prestige.  Leur carrière parfois avortée a aussi malencontreusement souvent coïncidé avec une récession économique.

Mais voilà que de nouvelles ambitions étaient nées chez Renault alors que nous approchions de l'an 2000 avec un enthousiasme fait de curiosité... Selon l'effet d'annonce, l'Avantime devait représenter un tournant dans l'histoire de l'automobile et personne n'imaginait alors que ce que les économistes nommèrent "la bulle Internet" allait exploser et conduire (entre autres) à une crise boursière aussi grave qu'inattendue.

Le risque était donc grand pour Renault d'engager ce véritable pari de conquête en haut de gamme, pari basé sur une trilogie composée de l'Avantime, de la Vel Satis et de "son" Espace IV.

A la recherche d'un public cible

En lançant l’Avantime en octobre 2001, Renault et Matra proposaient un concept automobile audacieux baptisé "coupéspace". Philippe Guédon et Patrick Le Quément considéraient qu’il s’agissait d’une rupture marquante dans l’évolution de l’automobile haut de gamme car l'Avantime offrait une alternative originale aux berlines traditionnelles comme la Peugeot 607 en France et la quantité d'Allemandes, de Suédoises, voire de Britanniques avec Jaguar, véritables fleurons du classicisme.

Les concepteurs de l'Avantime ambitionnaient de séduire les couples d'un âge moyen, plutôt aisés, ayant déjà possédé un monospace mais qui n'en voyaient plus l’intérêt une fois leurs enfants sortis du cocon familial.  Etaient également ciblés ceux que le chanteur Renaud a immortalisés dans sa chanson "Les bobos", autrement dit les "bourgeois bohèmes".

Un objectif de rentabilité jamais atteint

Les cadences de production prévoyaient la sortie de 80 à 100 véhicules par jour, mais ces chiffres ne furent hélas jamais atteints.  En effet, la courte carrière de l’Avantime fut jonchée d’obstacles, tenant principalement à la mise au point de son industrialisation. A véhicule novateur, nouveaux défis de fabrication !

Annoncée à l’aube de l’an 2000, sa commercialisation fut repoussée à plusieurs reprises afin de fiabiliser les portes à double cinématique, à réduire les disparités des pièces, à motiver les sous-traitants, à peaufiner les ajustages. A tel point qu’en fin de carrière, chaque exemplaire était minutieusement contrôlé pour garantir la fiabilité et un niveau de qualité régulier. Matra a traqué les problèmes de dispersion, ce qui a pris du temps et a coûté de l’argent
(Matra affirmait perdre un million d'euros par jour au moment de l'arrêt de production). Renault a accepté les retards sans sourciller afin de crédibiliser son modèle, sachant qu’il était destiné à la clientèle la plus exigeante du marché.  Malgré tous ces efforts, l’Avantime ne parvint pas à convaincre ni en France, ni en Allemagne, pays de référence pour une large diffusion européenne.

Une personnalité forte mais insuffisamment convaincante

Sa  forte personnalité ne suffisait pas à séduire une clientèle habituée à une finition irréprochable à ce niveau de prix.  En effet, la qualité des matériaux utilisés et les ajustages n'étaient pas tous dignes d'un haut de gamme. En outre, le volant et le tableau de bord trop proches de ceux de l'Espace contribuaient à ternir l'image avant-gardiste suggérée par son patronyme "Avantime". Dans le segment supérieur, la clientèle élitiste ne pardonne pas de telles économies rationnelles : elle apprécie l'exclusivité.  Philippe Guédon justifiait ce choix par la filiation avec l’Espace dont une partie de la clientèle visée était accoutumée à cette disposition : position de conduite et tableau de bord.

Mais ce rappel visible à l'Espace ne laissait cependant pas présager que la base même de l'Avantime n’était autre que celle de l’Espace, lui empruntant la plate-forme et les trains roulants dont on avait optimisé les réglages de manière à rendre la conduite plus dynamique.

Pour l’amateur d’automobiles, l'image d'avant-gardisme n'en était pas moins quelque peu ternie, puisque le véhicule présenté comme une nouveauté était déjà technologiquement dépassée par de futures Renault que l'Avantime allait
devoir affronter très prochainement sur le marché !  En effet, lors de sa sortie, l'Avantime n'était proposé qu'avec un moteur 3.0 V6 de 210 ch. 

Une concurrence interne

Mais lorsque Renault déclina la gamme de son Avantime (en proposant d’abord un 4 cylindres 2.0 Turbo 16v de 165 ch puis le très attendu 2.2 dci de 150 ch), la Renault Vel Satis (la remplaçante directe de la Safrane) venait d'être lancée et l'arrivée de l'Espace IV était imminente.  C'est donc au moment où est apparue une gamme autour de l'Avantime, que ce dernier a eu le plus à souffrir de la concurrence interne.  C’est d'autant plus vrai que les Vel Satis et Espace IV présentaient une large palette de motorisations susceptibles de satisfaire au mieux la clientèle du segment supérieur.  Grâce à son association avec Nissan, Renault équipaient ses deux nouveaux véhicules des moteurs japonais 3 litres V6 diesel et 3,5 litres V6 essence qui ne pouvaient trouver place sous le capot de l’Avantime.  Tout au plus aurait-on pu sortir 250 ch du V6 français, comme présenté sur le prototype de salon.

Un positionnement inadéquat ?

C’est alors que se pose une question fondamentale : celle du positionnement du véhicule sur le marché.  Présenté comme un haut de gamme avant-gardiste et élitiste, mais limité en motorisations et donc en performances, l’Avantime aurait probablement eut plus de succès à un niveau de gamme "un cran en dessous".  Pour preuve, le succès de la série spéciale "Hélios" (apparue peu avant la fin de la production) avait permis de doubler la cadence de production. Son rapport offre/prix était devenu attractif.

Une publicité branchée mais désynchronisée

A la recherche d'un public nouveau, sensible au design et à l'art contemporain, Renault, désormais autoproclamé "créateur d'automobiles", présenta une vision originale d'un pré lancement automobile en exploitant les dernières technologies de la toile. Ainsi fut créé dès mars 1999 un site européen dédié au concept car Avantime, site où étaient présentées les esquisses ainsi qu'une visite virtuelle et interactive du concept car. Un club, disponible en cinq langues, était créé pour la clientèle potentielle. Les adhérents recevaient les dernières informations en exclusivité, comme les premières images de la version commercialisée du véhicule en septembre 1999, moment coïncidant avec le Salon de Francfort, grâce à un nouveau site en "Flash". A travers une navigation intuitive, laissant une libre part au rêve, les internautes étaient invités à découvrir toutes les innovations conceptuelles et technologiques du nouveau coupé développé par Matra et Renault.

A la télévision, l'Avantime fut présenté dans un très beau spot publicitaire auquel participait le célèbre couturier Jean-Paul Gaultier.  Renault lança également une revue baptisée "Signe" (dont les premiers numéros étaient bilingues français-allemand) où s'étalait le style développé par Patrick Le Quément pour l'Avantime d'abord, pour la Vel Satis ensuite.

Malgré tous ces efforts de communication très branchée, l'Avantime restait dans les mémoires avant tout comme un prototype de salon car les problèmes d'industrialisation ont repoussé sans cesse sa production.  Il s'est malheureusement écoulé beaucoup trop de temps entre les effets d'annonce et la disponibilité du véhicule pour la clientèle convaincue, une partie de celle-ci s'étant vraisemblablement découragée. Hormis quelques mois avant sa commercialisation, la publicité ciblant exclusivement l'Avantime dans la presse fut rare, de même que le nombre d'Avantime exposés et la documentation disponible dans les concessions.  Il est certain que cette timidité manifestée par le réseau Renault a porté préjudice à l'Avantime, laissant ainsi croire que la marque ne croyait pas elle-même en son véhicule décalé, pourtant meilleur porte-drapeau de son audace en matière de création automobile ! 

Conclusions

Boudé par un public désorienté, négligé par un réseau peu motivé, critiqué pour sa finition imparfaite, l'Avantime était-il nécessairement voué à l'échec ?  On ne peut être aussi affirmatif. Le regain d'intérêt pour la série spéciale "Hélios" tend à le prouver.  Gageons que son volume de ventes aurait été supérieur si ses prétentions tarifaires avaient été moins ambitieuses lors de son lancement !

Si Philippe Guédon y a cru jusqu'au bout, c'est sans doute parce que la première génération d'Espace avait mis du temps avant que ses ventes ne décollent, se rappelant que durant son premier mois de commercialisation, seuls neuf véhicules avaient trouvé preneurs.  Mais cette comparaison avec l'Espace n'était malheureusement plus de mise car il manquait la volonté des tuteurs (Lagardère et Renault) de soutenir ce produit quoi qu'il en coûte.  Si pour l'Espace, Matra avait consenti de perdre de l'argent durant ses premiers mois de commercialisation, la chose n'était plus tolérable pour Lagardère et l'Avantime.

Le retrait prématuré de ce modèle a consacré aussi l'échec stratégique de Renault qui souhaitait développer sa présence en haut de gamme par une offre composée de trois véhicules aux publics distincts.  Seul l'Espace IV a quelque peu tiré son épingle du jeu jusqu'à sa désaffection progressive. L'Avantime s'étant retiré après 8 552 exemplaires produits et la Vel Satis s'étant vendue à dose homéopathique (62 000 exemplaires seulement), la marque au losange a ainsi perdu un pari sans doute trop ambitieux pour elle.