Le V6 turbo

            par André Dewael

 

Quand on évoque l'épopée Matra Sports, tout le monde se souvient du célèbre moteur V12 qui permit trois victoires consécutives au Mans.  Sa noblesse, son chant caractéristique et sa souplesse en font un moteur de légende qui est entré de plein droit dans l'histoire du sport automobile. 

Pourtant Matra a réalisé un autre moteur, peu connu, qui devait assurer la relève de ce fameux V12 : un V6 turbo de 1500 cm³ destiné à contrer les moteurs turbo de l'époque.  Renault avait ouvert la voie, suivi par Ferrari, Hart et l'on attendait le BMW et le Matra.

A Buc, près de Versailles, l'équipe de Georges Martin avait débuté son étude en 1980. On avait désaccouplé les bielles d'une des deux rangées de cylindres du V12 3 litres pour en faire un 6 cylindres en ligne turbo comme étude préliminaire.  On avait ensuite réalisé des maquettes grandeur pour des versions 4 cylindres en ligne, V8, V6 et l’ensemble avait été proposé à l’équipe de Ligier, afin qu’elle fasse son choix.

 

Celui-ci s’est porté sur un V6 à 120° (la même disposition que pour le Ferrari 126C) et les travaux avaient débuté à la fin de la saison 80.  Chez Matra, il en a résulté un très beau V6 avec ses couvercles d'arbres à cames en fibres de carbone, ultra-compact, dont le "V" très ouvert (à 120°) permettait d'avoir un groupe plus plat que le V6 à 90° de Renault et procurait, par conséquent, un centre de gravité placé beaucoup plus bas.  La puissance pouvait s'échelonner entre 180 et 700 ch (800 ch à 12000 t/m avaient été relevés au banc !), suivant la pression de suralimentation et le rapport puissance-fiabilité désiré. 

 

A l'époque, le point de mire était fixé aux 550 ch nécessaires pour contrer le V6 Renault.  Ce moteur avait été commandé - après de longues péripéties - par Peugeot pour équiper la Talbot-Gitanes de F1, sur base d'un cahier de charges défini par Peugeot. L’objectif était que le moteur définitif tourne d’ici un an au plus tard afin d’équiper un châssis à titre expérimental durant l’inter-saison 81/82.

Le moteur Matra, type MS 82, était prêt à être monté dans un châssis dès le 1er novembre 1981 mais des considérations stratégiques et financières entravèrent sa mise en service.  L'équipe Talbot-Gitanes de F1 n'était autre que la seule représentation du Groupe P.S.A. en compétition.  Un conflit éclata entre Peugeot et Matra à propos du règlement de la "facture moteur".  Les responsables de Peugeot, alors peu habitués aux dépenses en compétition, avaient jugé le montant trop élevé.

Ce conflit eut pour principale conséquence la rupture entre Peugeot et Matra : plus de moteur turbo pour la F1 et fin prochaine de la collaboration en matière de construction automobile de tourisme.  Ce sera la fin pour la Murena et la Rancho.  L'esquisse d'une berline monospace, conçue par Matra avec mécanique 1600 cm³ et plate-forme de Talbot Solara avait été refusée successivement par Talbot, Peugeot puis Citroën, ce qui fera plus tard le grand bonheur de Renault avec l'Espace.  Car c'est vers Renault que Matra devra se tourner pour réussir à convaincre...

Mais ce changement de partenaire de Matra Automobile aura une conséquence inéluctable pour le devenir de ce moteur et de l'équipe de motoristes.  Pour ne pas gêner Renault en F1, Matra renonce définitivement à son projet de collaboration avec l'écurie de Franck Williams.  En effet, un accord avait été conclu pour la fourniture du moteur Matra à Williams, bien que celui-ci était également en pourparlers avec Honda qui proposait de fournir le sien gracieusement.  Mais Patrick Head, dépêché par Franck Williams, s'était rendu chez Matra à Buc et en était revenu vraiment enchanté.  Il ne jurait que par le Matra !

Ainsi donc il fallut mettre la clé sous le paillasson.  Georges Martin était chargé de recaser les effectifs d'une équipe soudée au fil des ans, soit une cinquantaine de personnes, suite à la dissolution du Service Compétition.  

Exit le moteur V6 turbo de Matra, qui ira tout droit du banc d'essai au musée. Quel triste gâchis !